LES PERTURBATEURS ENDOCRINIENS : quels risques ? Quelles responsabilités ? Et quelle réglementation ?
A la suite de la Conférence « Plastiques et perturbateurs endocriniens, n’en jetez plus » tenue à l’Université Jean Monnet de Saint-Etienne par Maître Béatrice ESPESSON-VERGEAT, accompagnée par une ancienne étudiante du Master de Droit des affaires appliqué au monde la santé, Sonia IMPINNA, l’A.J.A.S vous éclaire sur les perturbateurs endocriniens.
La notion de perturbateurs endocriniens vous est peut-être inconnue ou peut être en avez-vous déjà entendu parler sans savoir vraiment à quoi elle correspond. Selon l’Organisation Mondial de la Santé, un perturbateur endocrinien est « une substance ou un mélange de substances, qui altère les fonctions du système endocrinien et de ce fait induit des effets néfastes dans un organisme intact, chez sa progéniture ou au sein de (sous)populations ». (OMS, 2002).
Ainsi, les perturbateurs endocriniens peuvent dérégler de manière irréversible les fonctions vitales de l’organisme par le biais du système hormonal et causer de nombreuses maladies telles que le diabète, l’obésité, ou l’infertilité. Plus qu’un risque pour l’organisme humain, les perturbateurs endocriniens peuvent également atteindre les animaux et l’environnement et sont parfois retrouvés pendant plusieurs années dans l’eau et dans l’air. De nombreuses substances chimiques sont d’ores et déjà suspectées d’être responsables de telles perturbations telles que les bisphénols, les phtalates, les parabènes, les composés bromés, perfluorés, alkylphénols…que l’on retrouve pourtant dans de nombreux objets du quotidien (tickets de caisse, produits cosmétiques, eau, médicaments, aliments…).
Le sujet des perturbateurs endocriniens s’est largement développé avec la survenance de pathologies liées à l’usage d’une hormone de synthèse (œstrogène), prescrite aux femmes enceintes pour prévenir des fausses couches et qui s’est révélé affecter les organes reproducteurs des enfants à naître, le Distilbène.
Depuis sa commercialisation en 1947 jusque dans les années 70, les dommages liés au Distilbène ont fait l’objet de nombreuses affaires devant les juridictions ; les victimes souhaitant être indemnisées par les fabricants du produit.
C’est ainsi qu’après avoir subi plusieurs opérations sur son utérus, neuf fausses couches et deux fécondations in vitro, une femme a réussi à mener à terme une grossesse gémellaire en restant alitée tout le temps de celle- ci ; un des praticiens hospitaliers lui ayant diagnostiqué un utérus hypoplasique, caractéristique d’un utérus DES (pour diéthylstilbestrol, commercialisé en France sous la marque Distilbène).
La patiente a alors assigné en responsabilité et en indemnisation un des producteurs de la molécule, laquelle a mis en cause une société qui commercialisait également le produit litigieux.
Mais les victimes souhaitant voir leur action aboutir à un résultat doivent encore apporter la preuve de leur exposition à la molécule et du lien entre celle-ci et leur pathologie.
Dans cette affaire, les juges de la Cour d’appel de Versailles avaient décidé que la demanderesse ne rapportait pas les éléments nécessaires à prouver que le Distilbène était bien la cause de ses problèmes et avaient rejeté sa demande.
La Cour de cassation a rendu sa décision le 19 juin 2019 sur cette même affaire ; complétant sa construction jurisprudentielle concernant le Distilbène et reposant sur le droit commun de la responsabilité civile et sur l’actuel article 1240 du Code civil (« Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ») ; le médicament litigieux ayant été mis en circulation antérieurement à la loi spéciale n° 98-389 du 19 mai 1998 sur les produits défectueux.
Face aux difficultés probatoires des victimes, les ordonnances n’ayant que trop rarement été conservées par leur mère, les juges ont fait preuve d’une certaine souplesse. Deux cas doivent alors être distingués : soit l’exposition au Distilbène est la seule cause possible de la pathologie de la victime, auquel cas elle est présumée et dès lors la preuve du lien entre l’exposition au produit et le dommage ne soulève aucune difficulté (Civ. 1re, 24 sept. 2009, n° 08-16.305 et 28 janv. 2010, n°08-18.837) soit l’origine de la pathologie est multifactorielle et la victime doit alors rapporter tant la preuve de son exposition au produit litigieux quel’imputabilité du dommage à cette exposition. (Civ. 1re, 24 sept. 2009, n° 08-10.08). La preuve pouvant être établie par tout moyen, y compris par des présomptions graves, précises et concordantes.
Actuellement la problématique est celle de réduire voire de supprimer ces perturbateurs endocriniens et dès lors de prévenir en amont la survenance des pathologies y étant liés. Cela suppose plusieurs changements, tant dans les procédés de production que dans les habitudes de consommation et soulève de nombreuses questions notamment sur les conséquences de l’absence même de ces substances dans les produits du quotidien (détermination de nouveaux processus de fabrication, développement de bactéries jusque-là stoppé par l’ajout de substances antibactériennes potentiellement nocives notamment dans les cosmétiques, usage de nouvelles substances dont les effets sont encore inconnus…). En effet, la question de savoir par quelles substances va-t-on remplacer celles actuelles est importante.
Le cas du Bisphénol A (ou BPA), désormais reconnu comme un perturbateur endocrinien, en est une bonne illustration. Celui-ci, interdit dans de nombreux produits en France par la loi n°2012-1442 du 24 décembre 2012, et en Europe, a été remplacé par le Bisphénol B et le Bisphénol S. Cependant, à l’heure actuelle, il n’y a encore aucune certitude que ces derniers soient sans danger pour la santé. Il y aurait par ailleurs déjà des doutes sur leur nocivité, en effet, si l’on en croit certaines sources ceux-ci seraient moins bien assimilés par le corps humain et resteraient plus longtemps dans l’organisme que le BPA.
La réglementation sur les perturbateurs endocriniens vise à rechercher quels sont les produits potentiellement nocifs, quels sont leurs effets et comment protéger la population. L’objectif est alors de trouver un équilibre entre la protection d’une population soumise à un risque sanitaire et celles des fabricants dans leur nécessité d’utiliser des éléments potentiellement perturbateurs afin de pouvoir poursuivre leur activité.
En France et dans l’Union Européenne, l’encadrement des produits chimiques est régi par le règlement REACH n°1907/2006 du 18 décembre 2006 (pour enregistrement, évaluation, autorisation et restriction des substances chimiques). Ce règlement prévoit que les substances susceptibles de perturber le système endocrinien et « présentant un niveau de préoccupation équivalent aux substances CMR (cancérigène – mutagène – toxique pour la reproduction) » doivent être identifiées comme des substances extrêmement préoccupantes et inscrites sur la liste des substances soumises à autorisation.
Un autre règlement européen dit CLP (n°1272/2008 du 16 décembre 2008 relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances et des mélanges) impose aux industries de préciser sur les étiquettes la présence de substances dont certaines sont des perturbateurs endocriniens potentiels. Cependant, cette norme exclut certains produits comme les aliments, les compléments alimentaires, les dispositifs médicaux, les médicaments ou les cosmétiques qui relèvent de réglementations spécifiques. Finalement seuls deux règlements sur les produits phytopharmaceutiques et les biocides prévoient explicitement d’exclure les substances perturbatrices.
La France est un pays très concerné par la question des perturbateurs endocriniens. Les deux principales agences de santé nationales, l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM) et l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’Alimentation, de l’Environnement et du Travail (ANSES) collaborent depuis 2014 sur l’établissement d’une Stratégie Nationale sur les Perturbateurs Endocriniens (SNPE) afin d’identifier leur présence dans les cosmétiques et les produits de santé.
Les lois nationales et les règlements européens sont dits de droit dur. Ces normes sont parfois difficilement accessibles aux consommateurs et leur portée en est ainsi limitée. Les industries et les agences de santé ont par conséquent pu développer ensemble des moyens de garantir la qualité des produits et leur innocuité par le biais de bonnes pratiques, de chartes ou de labels et par des avis et des recommandations. Ce droit souple s’articule avec les normes impératives, participe à l’édiction de nouvelles règlementations et contribue ainsi à l’amélioration de la protection des consommateurs.
Pour plus d’informations sur les perturbateurs endocriniens et sur les projets nationaux, vous pouvez consulter le site du Ministère des Solidarités et de la Santé :https://solidarites-sante.gouv.fr/sante-et-environnement/risques-microbiologiques-physiques-et-chimiques/article/perturbateurs-endocriniens.
Leïla GUERIN, Anaïs PELLETIER
Membres de l’ A.J.A.S Master 1 Droit des affaires appliqué au monde de la santé