Note de synthèse concernant les questions préjudicielles posées à la CJUE avec l’arrêt Santen rendu le 9 juillet 2020 (C-673/18), relatif à l’utilisation d’un CCP dans le cadre du droit des brevets pharmaceutiques.Kamel BESSEGHIER, Master 2 Droit des affaires appliqué au monde de la santé
Retrouvez la note de synthèse de Kamel Besseghier, étudiant en master 2 droit des affaires appliqué au monde de la santé et alternant juriste chez Cristalens Industrie.
Certificat complémentaire de protection, communément appelé « CCP », est un titre qui confère à l’utilisateur d’un brevet un prolongement d’un produit entrant dans la composition d’un médicament. Il est rappelé dans l’article 3 du règlement n° 469/2009 [1] sur les CCP « qu’est délivré un CCP si l’AMM sur la base de laquelle il est émane la première autorisation de mise sur le marché du produit, en tant que médicament ». Il y a eu une évolution de jurisprudence notamment avec l’arrêt NEURIM C-130/11 [2] en mettant en exergue qu’une application thérapeutique donnée ne s’oppose pas à ce que soit délivré un CCP pour une application différente du même principe actif, à la condition que ce produit entre dans le champ de protection du brevet de base. Il est important de spécifier que le CCP offre une méthode d’exploitation et de protection plus rapide que de procéder à une nouvelle demande d’autorisation de mise sur le marché, conférée par l’ANSM [3].
On observe, suite à la publication de l’arrêt SANTEN, un revirement de jurisprudence opéré par la Cour de justice de l’Union Européenne de l’affaire NEURIM.
Afin de mieux expliciter l’apport de l’arrêt nous allons traiter dans un premier temps des faits :
- Le laboratoire SANTEN est titulaire d’un brevet qui protège un produit, dont le principe actif est la ciclosporine utiliser pour le traitement des maladies oculaires. Il a obtenu une AMM pour commercialiser ce produit dans le cadre de l'utilisation précitée. Le laboratoire a, par la suite, déposé une demande de CCP pour la ciclosporine pour le traitement de la kératite (inflammation de la cornée).
- L’INPI a rejeté la demande du laboratoire SANTEN ainsi que sa demande de CCP au motif qu’il existait une AMM, certes prescrite, pour le traitement de l’uvéite (inflammation du globe oculaire) qui contenait déjà de la ciclosporine. L’INPI rappelle que « la notion d’application différente au sens de l’arrêt NEURIM devrait s’entendre de manière stricte » et qu’en l’espèce l'utilisation opérée par le laboratoire SANTEN n’était
pas suffisamment différente car elle traitait du même champ et avait la même composition que le médicament traitant l’uvéite du nom de « Sandimmun ».
Le laboratoire SANTEN considérait au contraire que la notion d’application différente au sens de l’arrêt NEURIM devait s’opérer de manière extensive en incluant des indications thérapeutiques, des modes de posologies et d’administration différentes.
Dans ces conditions la cour d’appel de Paris a trouvé nécessaire d’opérer des clarifications quant au règlement du CCP en posant à la CJUE des questions préjudicielles [4]. La première question posée par la cour est de savoir si la notion d’application différente au sens de l’arrêt NEURIM du 19 juillet 2012 CJUE C 130/11 doit s’entendre de manière stricte.
La seconde est de savoir si le champ de protection conféré par le brevet de base toujours posé par l’arrêt NEURIM implique-t-elle que la portée du brevet devrait concorder avec celle de l’AMM et donc se limiter à la nouvelle utilisation médicale correspondant à l’AMM.
Dans cette optique, la CJUE a opéré un revirement de jurisprudence et notamment de l’arrêt NEURIM, indiquant à ce titre que pour définir la première AMM du produit, en tant que médicament, il n'y a pas lieu de prendre en compte le champ de protection du brevet de base car cela reviendrait à remettre en cause la définition de produit défini par l’article 1 du règlement CCP et susceptible de mettre en difficulté l’interprétation dudit règlement. De plus sur le second point, la CJUE considère qu’une autorisation de mise sur le marché ne peut être considérée comme étant la première AMM au sens de l’article 3 d) du règlement CCP, lorsque celle-ci porte sur une application thérapeutique d’un principe actif, ou d’une combinaison de principes actifs, qui a fait l’objet d’une AMM pour une autre application thérapeutique.
Ainsi, la rupture est nette avec l’arrêt NEURIM et l’interprétation stricte de la notion d’application. Cet arrêt implique une véritable innovation quant au droit des brevets et notamment de la protection via le CCP. L’arrêt SANTEN permet par extension de donner des précisions quant aux lacunes laissées par l’arrêt NEURIM.
Kamel BESSEGHIER
Master 2 Droit des affaires appliqué au monde de la santé
Alternant Juriste chez Cristalens Industrie
[1] https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2009:152:0001:0010:FR:PDF
[2] http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf;jsessionid=2CC70987B3D0EAACE4AE589625D2C656text=&docid=125216&pageIndex=0&doclang=fr&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=7925878
[3] https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000032101471?r=sZuLx2AHlD
[4] http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsftext=&docid=209997&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=6710507